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Alice Lhabouz : « Je veux rapprocher les Français de l’investissement »

Entrepreneure dans l'âme, Alice Lhabouz est l'une des rares Françaises – sinon la seule – à avoir créé une société de gestion de portefeuille avant ses 30 ans. Partie de rien, sa détermination sans failles et son instinct pour les secteurs d'investissement prometteurs ont forgé sa réussite. Aujourd'hui, elle s'impose comme une figure incontournable, appelée à marquer durablement le paysage économique.

Article extrait du magazine print Idéal Investisseur n°2.

Alice Lhabouz : « Je veux rapprocher les Français de l’investissement »
Temps de lecture : 10 minute(s) - Par Propos recueillis par Caroline Courvoisier | Publié le 27-01-2025 08:00  Photo : SKISS / M6 
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« Aucune femme de mon âge n'avait réussi : tout le monde me disait que c'était impossible. »

Comment avez-vous réussi à devenir la première Européenne à fonder une société de gestion à moins de 30 ans ? Lorsque vous vous êtes lancée en 2011, le secteur n’était ni très féminin ni très jeune…

Alice Lhabouz – J’ai toujours su que j’allais entreprendre. Je suis une femme de projets, animée par le plaisir de réaliser la stratégie que j’ai en tête. Quand j’ai découvert l’univers de la finance de marché et des sociétés de gestion, j’ai su que c’était ma voie ! J’ai commencé chez Richelieu Finance. Leur collecte était énorme, la société développait beaucoup d’initiatives qui ont, depuis, changé cet univers : relations avec les conseillers en gestion de patrimoine indépendants, organisation d’événements incroyables… Je travaillais au trading desk. J’étais la seule femme parmi une cinquantaine de personnes – et la moins bien payée –, mais ça n’a fait que renforcer mon ambition. Je me souviens encore m’être dit, en découvrant le magnifique bureau du patron : « C’est là que je veux être ! » Mais passer du rêve à la réalité n’a pas été simple. À l’époque, aucune femme de mon âge n’avait monté de société de gestion. Tout le monde me disait que c’était impossible.

« J'ai valorisé la société à 3 millions d'euros alors que j'étais seule avec mon mémo »

Comment avez-vous réagi à l’époque ? Est-ce que ces commentaires vous ont fait douter ?

A.L. – Parfois, on dit que les entrepreneurs n’ont pas « une case en plus », mais plutôt « une case en moins » ! (Rires) Il y a quelque chose d’un peu naïf : on se dit que si l’on travaille dur, on va y arriver, et que c’est logique. Je viens d’une famille très éloignée du monde de la finance. Quand j’ai démissionné pour me lancer, je n’avais aucun réseau pour m’épauler. C’était une barrière, même si je ne la ressentais pas. Je n’avais pas non plus de clients ou de fonds propres, ce qui est problématique pour créer une société de gestion. Donc j’ai avancé par étape.

En commençant par définir les contours d’une offre financière différente ?

A.L. – J’avais travaillé sur le marché actions et constaté que certains produits manquaient. À l’époque, il y avait surtout des fonds d’investissement centrés sur les actions françaises ou européennes. Or, j’étais convaincue que la croissance économique mondiale ne se faisait pas chez nous. J’ai donc pris le parti que, pour générer de la performance, il fallait viser le monde entier.
Je me suis très vite orientée vers le marché américain, notamment parce qu’il tend beaucoup plus vers la « juste valeur ». Le marché est beaucoup plus efficace qu’ici. Pourquoi ? Car il est mieux arbitré. D’abord parce qu’il y a des investisseurs à long terme, comme les fonds de pension qui investissent pour 40 ou 50 ans, mais aussi parce qu’il y a, chez les particuliers, une éducation financière qui est bien supérieure à la nôtre : beaucoup ont la culture des actions, de l’investissement. Enfin, c’est un marché intérieur gigantesque : les sociétés locales ont un immense terrain de jeu, il y a donc plus de chances qu’elles fonctionnent.

Ensuite, je me suis dit qu’il fallait viser des marchés structurellement en croissance. Ma vision, c’était celle des fonds thématiques : investir dans les sociétés les plus performantes dans un domaine. C’était assez rare, à ce moment.


« Pour trouver des investisseurs, j'ai fait la stratégie “Tempête du désert”. »

Vous aviez un profil atypique et l’ambition de proposer une offre inédite sur le marché français. Si l’idée semblait prometteuse, cela a également pu freiner certains investisseurs. Comment avez-vous réussi à convaincre vos premiers soutiens ?

A.L. – J’ai commencé par créer Trecento Holding en 2011 avec 300 € (trecento veut dire « trois cents » en italien, NDLR) et rédiger un mémo pour expliquer ma vision, ma stratégie. J’ai aussi défendu le principe que le marché est haussier à long terme. Vous savez, les personnes qui disent toujours que le marché va baisser, que tout va s’effondrer… je m’en éloigne. Ce discours n’a pas d’intérêt, pour la simple et bonne raison que depuis que les marchés financiers existent, la bourse progresse en moyenne de 5 à 7 % par an. Avec des hauts, des bas et du risque ! Certaines personnes font de la peur leur fonds de commerce. Je suis à l’opposé de cela, et je l’étais déjà à 30 ans.

Pour lever des fonds, j’ai lancé une augmentation de capital avec une très grosse prime d’émission : j’ai valorisé la société à 3 millions d’euros, avec pour objectif d’aller chercher 100 % des fonds propres en échange de 20 % du capital. Je n’avais pas d’agréments, pas de clients, pas de salariés, pas de bureaux, pas de prestataires… J’étais seule avec mon mémo !

C’est audacieux ! Mais dans un tel contexte, vous n’avez douté à aucun moment ?

A.L. – En réalité, ça me semblait logique qu’on finance mon développement… J’étais même surprise quand les gens ne voulaient pas investir ! (Rires) Comme je n’avais pas de réseau, je ne pouvais pas convaincre un gros investisseur de mettre beaucoup d’argent. Ma stratégie, c’était d’aller chercher beaucoup de petits : leur risque individuel n’était pas très élevé, et la somme de leurs investissements allait suffire pour lancer la société. J’ai fait feu de tout bois : je ne connaissais personne ! J’ai contacté des entrepreneurs, notamment sur LinkedIn. Certains m’ont reçue ou recommandée. J’ai dû embrasser beaucoup de crapauds pour trouver des princes, mais finalement, certains m’ont fait confiance, et je les remercie.


« La robotique, le big data et l'IA vont changer le monde, c'est évident. »

Vous réussissez donc à créer Trecento AM, la société de gestion, filiale de votre holding. Mais contrairement à beaucoup de modèles économiques, celui d’une société d’investissement implique de lever sans cesse des fonds. Vous avez donc dû reprendre votre « bâton de pèlerin » pour convaincre de nouveaux investisseurs ?

A.L. – Le chiffre d’affaires est en effet réalisé sur la base d’un pourcentage des encours gérés et, le cas échéant, des commissions de surperformance. Il faut donc collecter rapidement des dizaines de millions d’euros pour les investir. Ce que je ne savais pas à ce moment, c’est que ce type de collectes se fait peu en direct et beaucoup au travers des contrats d’assurance-vie. Le problème, c’est qu’aucune compagnie n’a voulu me référencer : société trop petite, aucun historique… je ne cochais aucune case, mon business plan initial était donc mort-né !

J’ai alors été voir les incubateurs de sociétés de gestion. Au bout de 8 mois de travail acharné, j’ai passé un grand oral auprès des 3 grands patrons de La Française AM, et ils ont dit oui ! En janvier 2012, ils nous ont apporté 15 millions d’euros pour démarrer, en échange de 20 % du capital de Trecento AM. Une belle étape, mais qui ne donnait qu’un an de sursis.

Les compagnies d’assurance vous fermant la porte, quelle autre solution avez-vous trouvée pour poursuivre ?

A.L. – J’ai pris toutes les coordonnées des patrons de caisses de retraite et de mutuelles françaises dans un livre sur les « zinzins », les investisseurs institutionnels. Et là, j’ai fait la stratégie « Tempête du désert » ! Il fallait absolument que je les rencontre en personne, et pas leur N-1 ou N-2, car ils ne m’auraient jamais donné ma chance. J’ai donc tout fait pour les croiser. J’avais leur visage en tête et je leur donnais ma carte de visite. Parfois, ça marchait, parfois, non. Quand on est une femme, il arrive aussi qu’il y ait une « suspicion », et il faut savoir gérer ce genre de chose : l’univers des patrons n’est pas particulièrement féminin.

J’avais lancé un premier fonds sur la santé, un domaine très lié à celui des mutuelles. Or, il se trouve que plus la population avance en âge, plus elle consomme des soins et des médicaments. Mon discours auprès de ces patrons était qu’avec le temps, leurs charges allaient s’alourdir : investir dans un fonds thématique dédié à la santé serait un moyen de couvrir leurs actifs. J’ai collecté grâce à cela, mais je suis un peu devenue « la championne des miettes ». Là où mes confrères repartaient avec des dizaines de millions d’euros, moi, je repartais avec 500 000 euros, 1 million. Mais en multipliant ces tickets, j’ai commencé à faire un bout de chemin.


« L'année du Covid, mon portefeuille d'investissement a progressé de +39 %. »

Vous avez choisi de développer des fonds d’investissement sur la santé et la robotique, ce qui était précurseur dans les années 2010. Quelles sont vos convictions sur ces thématiques ?

A.L. – Pour moi, ce sont deux grands piliers. La santé, c’est plus de 10 % du PIB mondial. Il y a vraiment des catalyseurs à long terme, comme le vieillissement, l’augmentation de la population mondiale, le rattrapage de niveau de vie dans les pays émergents. Assez rapidement après la création de Trecento Santé (2012), nous avons vu arriver d’énormes bouleversements dans le secteur : la miniaturisation, la robotisation, le big data et les débuts de l’intelligence artificielle. Après une étude du marché global, il nous est apparu évident que ces technologies allaient changer le monde. Comme il existait assez de sociétés cotées pour créer un fonds thématique, nous avons lancé Trecento Robotique (2015). En 2024, il a été classé premier mondial dans la catégorie « Equity – Robotics & AI » par CityWire. Nous intégrons aussi la démarche d’investissement responsable depuis 2015, et nos fonds sont labellisés ISR depuis 2020.

Avec la COVID-19, le secteur de la santé a été plus que jamais mis en lumière. Quel impact cela a-t-il eu sur votre activité ?

A.L. – Dès le lancement de ma société, j’ai proposé à BFM Business de venir parler de cette thématique d’investissement, car personne ne le faisait. Plus tard, j’ai commencé à intervenir dans l’émission C’est votre argent, avec Marc Fiorentino. L’année du COVID-19, il a organisé un concours de gérants de fonds. Chacun apportait ses idées d’investissement pour construire un portefeuille virtuel. Et j’ai gagné, avec une hausse de +39 %. Pour la première fois de ma vie, j’ai eu beaucoup d’appels, de mails, de contacts sur LinkedIn, de particuliers qui me disaient ne pas comprendre pourquoi ils perdaient de l’argent avec leurs placements. J’ai saisi l’occasion pour créer une société de courtage, Akilla, dédiée à l’assurance-vie, aux plans d’épargne retraite et aux contrats de capitalisation.

Depuis, je me suis aussi donné une nouvelle mission pour la deuxième étape de ma vie professionnelle. Je pense qu’il ne faut pas culpabiliser les Français, mais soyons honnêtes : ils sont formés à être des épargnants, pas des investisseurs. Ils veulent absolument sécuriser leur épargne, sauf qu’entre-temps, il y a l’inflation, et le monde change… Les riches s’enrichissent, et l’épargnant reste avec son livret A à 3 %.

Pourtant, la Bourse intéresse beaucoup de particuliers ! On me pose souvent la question : dans quoi faut-il investir ? En fait, tout est devant vous, il faut juste ouvrir les yeux. Par exemple, tout le monde a un smartphone. Si vous pensez que cette tendance va continuer, pourquoi ne pas acheter une action Apple ? Ce n’est pas si compliqué : pour du long terme, choisissez des thématiques dans lesquelles vous croyez.

En fait, j’ai envie d’aider les Français à devenir des investisseurs en leur faisant passer des messages à travers des conférences, en les aidant à choisir leurs propres thématiques. Investir, c’est bon pour l’économie : si les gens gagnent plus d’argent, ils vont dépenser plus, relancer la demande, augmenter l’emploi, la croissance, les recettes de l’État, financer notre Sécurité sociale, etc. Nous y serons tous gagnants.

« Il faut arrêter de dire aux gens que l'argent, c'est mal. L'argent, c'est un moyen. »

Vous envisagez donc une démarche d’accompagnement, à l’image de votre rôle de membre du jury de l’émission Qui veut être mon associé ? que vous avez rejointe cette année ?

A.L. – C’est vrai ! Avec cette émission, il y a un côté très économie réelle, très local, très terrain, que j’avais envie d’expérimenter et qui m’a énormément plu. J’ai découvert des entrepreneurs que j’adore et je vais les aider à cartonner ! J’ai le réseau, j’ai les moyens, je sais comment faire… Rien n’est garanti, évidemment. Mais j’aime l’idée de pousser un nouveau projet qui n’est pas le mien. Ce que je regarde, c’est à la fois le projet et la personnalité de l’entrepreneur : sa capacité à communiquer ses idées et à démontrer qu’il sait exactement où il va. J’apprécie ceux qui ont un côté très « focus » : monter une boîte, ce n’est pas pédaler plus fort, c’est pédaler tout le temps. Il faut que le porteur de projet donne l’impression qu’il va être capable de fournir un effort constant, tout en ayant une stabilité mentale.

Ce que j’apprécie aussi, c’est qu’il y a des profils tellement différents. Des séniors, des jeunes, des quarantenaires qui ont tout lâché parce qu’ils croient en leur projet… Certains font déjà de très beaux chiffres d’affaires. Cette émission montre à d’autres que c’est possible. Elle devrait être programmée toute l’année ! Il faut créer des vocations et arrêter de faire croire aux gens que l’argent, c’est mal. L’argent, c’est un moyen.

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