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Investir dans la défense : les opportunités d'un secteur stratégique

Hausse des budgets, relance des capacités industrielles, structuration de l'offre financière… Pour les investisseurs, le retour de la défense en première ligne ouvre un nouveau champ d'analyse et de possibilités.

Article extrait du magazine print Idéal Investisseur n°4.

Investir dans la défense : les opportunités d'un secteur stratégique
Temps de lecture : 9 minute(s) - Par Caroline Courvoisier | Mis à jour le 27-05-2025 09:03 | Publié le 27-05-2025 08:50 Photo : Adrien Daste / Safran 
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Défense européenne : le réveil budgétaire

Après plusieurs décennies de désengagement, les pays européens ont décidé d’accélérer leurs dépenses militaires. Le contexte géopolitique – guerre en Ukraine, incertitudes sur l’engagement américain dans l’OTAN, tensions en mer de Chine – les incite à reconsidérer ses priorités. En France, lors de la conférence pour la base industrielle et technologique de défense (BITD) le 20 mars à Bercy, le ministre des Armées Sébastien Lecornu a expliqué vouloir « adapter notre outil industriel à une conflictualité désormais durable ».

Le budget de la défense devrait ainsi passer de 50,5 milliards d’euros, en 2025, à une fourchette comprise entre 67 et 100 milliards d’euros par an, d’ici 2030. Le montant varie selon les sources, mais l’objectif reste ambitieux : porter l’effort à 3 %, voire 3,5 % du PIB, contre environ 2 % aujourd’hui. Cette montée en puissance ne se limite pas au niveau national. En mars, la Commission européenne a présenté le plan « Readiness 2030 », doté de 800 milliards d’euros pour renforcer les capacités militaires du continent. Avec l’ambition que 60 % des achats d’équipements soient effectués auprès de fournisseurs européens d’ici 2035.

Derrière ces chiffres, une tension structurelle émerge. Il faut ici distinguer les achats d’équipements effectués par les États auprès des industriels (payés par les deniers publics) et les financements nécessaires pour adapter le secteur privé à la hausse de la demande. La hausse de la demande ne garantit pas mécaniquement l’augmentation des capacités de production. Après des années de baisse des budgets, les chaînes d’approvisionnement et de fabrication ont leurs limites, les profils qualifiés se font plus rares. Pour les industriels, produire plus suppose d’investir massivement en amont. Selon le ministre de l’Économie Éric Lombard, les entreprises du secteur devront renforcer leurs fonds propres de « 1 à 3 milliards d’euros supplémentaires dans les 5 ans » pour tenir la cadence.

C’est tout l’enjeu du financement privé. Face à une demande en forte croissance, les investisseurs ont un levier clair : identifier les acteurs capables d’absorber cette montée en puissance. Actions de grands industriels, PME en direct, fonds cotés ou non… les options sont multiples, mais nécessitent une analyse approfondie.

Investir dans les actions : opportunité de fond ou effet de contexte ?

L’un des premiers réflexes, lorsqu’il s’agit d’investir dans un secteur, est de se tourner vers les marchés actions. « Nous avons actuellement en portefeuille l’Italien Leonardo et Exosens, une valeur française récemment introduite en Bourse, spécialisée dans l’optronique et la vision de nuit », explique Bertrand Lamielle, directeur général de Portzamparc Gestion. Ces entreprises profitent d’une dynamique particulièrement favorable : « Les analystes sont en train de réviser à la hausse leurs prévisions, notamment en lien avec les 800 milliards d’euros de dépenses européennes annoncées. » Pour Leonardo, par exemple, l’estimation est parlante : si 1 % du PIB est alloué en plus aux budgets de la défense, la progression envisagée du chiffre d’affaires est de l’ordre de 20 %.
Mais l’expert appelle aussi à la mesure. « La Bourse adore brûler ce qu’elle a adoré la veille. » D’éventuels blocages politiques ou des retards dans l’exécution budgétaire pourraient freiner la dynamique. D’autant que des contraintes industrielles demeurent. « Il y aura forcément un sujet capacitaire. Si les chaînes de production sont déjà saturées, il faudra investir pour les augmenter. Or, ce sont d’abord des charges, avant de générer du chiffre d’affaires. » S’ajoutent des délais incompressibles dans la contractualisation avec les États.

D’autres valeurs européennes méritent d’être examinées : Rheinmetall (armement allemand), Kongsberg Gruppen (systèmes de défense et d’aérospatiale norvégiens), ainsi que, en France, Thales (électroniques, cybersécurité et spatial), Safran (propulsion, capteurs et navigation), Airbus (par sa branche Defence and Space), ou encore Dassault Aviation. « Cette valeur a vu son cours presque tripler depuis 2021, avec une accélération en 2022 après le déclenchement du conflit en Ukraine », explique Bertrand Lamielle.

Dans un pareil contexte, la question pour les investisseurs est toujours la même : est-il trop tard pour entrer ? « Ce n’est pas forcément parce qu’une valeur a déjà beaucoup progressé qu’il ne faut pas y aller. Nous avons connu cela avec UniCredit, que nous avons acheté après 50 % de hausse… et revendu après l’avoir vu plus que doubler. » Une fois convaincu par le potentiel d’une valeur, quelle stratégie adopter ? « La politique des petits pas », affirme le spécialiste. « On commence à s’exposer doucement. Si le timing n’est pas bon, que le cours baisse, mais que les conditions sont toujours favorables, on pourra renforcer. Et si tout se passe bien, tant mieux. »

L'alternative des ETF Défense

Pour ceux qui souhaitent s’exposer au secteur sans passer par la sélection d’actions individuelles, les ETF spécialisés offrent une alternative. « Ce sont des fonds cotés en Bourse qui répliquent un indice, ici centré sur les entreprises de la défense. Cela permet de capter le potentiel du secteur tout en limitant le risque spécifique à une seule entreprise », explique Thomas Jaquet, responsable France de Freedom24.

Deux grands noms dominent aujourd’hui cette niche : VanEck Defense (3,5 milliards d’euros sous gestion) et Future of Defence (1,6 milliard). Si ces fonds, libellés en dollars, exposent l’investisseur aux fluctuations du taux de change, ils sont aussi constitués, au moins pour moitié, de valeurs américaines. Une stratégie qui peut rebuter ceux qui cherchent à investir dans une logique de souveraineté européenne. « Les États-Unis restent un pilier, avec près de 884 milliards de dollars de budget prévu pour la défense en 2025. Mais l’Europe monte en puissance », nuance Thomas Jaquet.

Un tournant symbolique a eu lieu en mars 2025 avec le lancement de l’ETF WisdomTree Europe Defence, premier produit entièrement dédié aux entreprises de défense du Vieux Continent. Coté en euros, le fonds regroupe des fabricants d’équipements, d’électronique militaire et de composants spatiaux. Un mois après son lancement, près de 680 millions d’euros y avaient déjà été investis.

Facile d’accès, les ETF attirent notamment les profils moins aventureux, séduits par leur diversification sectorielle, voire les débutants, pour leur simplicité apparente. Mais attention : « Le principal critère de choix, c’est la clarté. Il faut savoir dans quoi, pourquoi on investit, et comprendre que l’on s’expose à des risques », insiste-t-on chez Freedom24. Autre point à vérifier, l’adéquation de la stratégie de distribution avec ses objectifs, car elle consiste bien souvent à capitaliser les revenus, et non à distribuer des dividendes.

Financer les PME de la BITD

Souvent décrite comme un pilier discret de l’économie française, la base industrielle et technologique de défense regroupe plus de 4 000 PME et ETI. Positionnées, pour beaucoup, sur des niches technologiques, elles représentent 210 000 emplois et couvrent une large gamme de savoir-faire indispensables aux grands groupes : électronique, optique, systèmes de communication, propulsion, mécanique de précision, ou encore cybersécurité… « Ce sont des entreprises qui vont faire de la petite série, de la très haute qualité, de la très haute valeur ajoutée, et qui font à la fois du militaire et du civil, pour la plupart », explique Pierre-Elie Frossard, fondateur de SouvTech Invest.

Pour ce maillon fondamental de la chaîne de production, l’accélération des cadences risque de s’accompagner d’un besoin accru de financement. Pour réduire les délais, elles vont devoir investir dans du matériel, embaucher, former… Or, les banques demandent souvent des carnets de commandes fermes pour débloquer des crédits, ce qui implique d’attendre que les commandes de l’État se répercutent dans toute la profondeur de la chaîne de valeur.Jusqu’à récemment, les leviers de financement privé étaient moins étendus que pour d’autres secteurs. La faute, selon Bercy, à « une frilosité injustifiée » quant aux critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance, voir notre article) et à une mauvaise interprétation des règlements sur le commerce de l’armement. Mais la donne pourrait changer rapidement. Les représentants de l’État ont apporté des clarifications sur ces points lors de la conférence du 20 mars. « C’est un investissement d’autant plus responsable qu’il protège notre souveraineté et nos principes de démocratie, de liberté et de développement durable », a indiqué Éric Lombard, avant de préciser « qu’il n’y a pas d’armes controversées : il y a des interdictions, et le reste est autorisé ». De grandes banques se sont également engagées à faciliter l’accès de la BITD au crédit, et l’Autorité des marchés financiers (AMF) a annoncé la mise en place d’une procédure d’agrément accélérée pour les fonds d’investissement « défense », signe d’une volonté de structuration de l’offre « vert kaki ».

Investir dans les PME de la défense

Fin mars, Bpifrance annonçait le lancement d’un fonds grand public de 450 millions d’euros dédié au renforcement des capacités des start-up, PME et ETI de la défense et de la cybersécurité. Accessible dès 500 euros par un compte-titres, un PER ou une assurance-vie, il devrait viser un rendement de 6 % à 10 % par an, sans garantie sur le capital. L’argent investi sera bloqué pour au moins cinq ans, dans une logique de placement de moyen à long terme. La fiscalité, elle, dépendra de l’enveloppe utilisée. À l’heure où nous écrivons ces lignes, les contours exacts du produit restent à préciser, son lancement étant envisagé pour l’automne.

Certains acteurs ont d’ores et déjà pris position. « Il faut créer un pont entre l’investissement privé et la souveraineté nationale », explique Pierre-Elie Frossard. Une ambition que cet ancien cadre de MBDA développe au travers de sa plateforme de financement participatif SouvTech Invest. Adossée aux Entreprêteurs, elle propose d’investir, à partir de 500 euros, dans des projets duals (civils et militaires) innovants et à impact – moteurs hybrides pour drones, impression 3D céramique, cybersécurité, IA –, dans une logique de réindustrialisation et de soutien aux forces. Les levées de fonds peuvent aller de 300 000 à 5 millions d’euros par projet, en fonds propres et/ou en dette.

En 2023, Weinberg Capital Partners a lancé le fonds Eiréné, dédié à l’accompagnement des PME/ETI du secteur de la sécurité et de la défense. Pour Serge Weinberg, il s’agit d’« un enjeu économique et stratégique national ». Avec 215 millions d’euros levés, ce fonds a dépassé son objectif initial grâce à l’appui d’institutionnels publics, de family offices et d’acteurs privés. Il a déjà réalisé plusieurs prises de participation, dans Semip-Codechamp (capteur de position angulaire), Chesneau-Serret (mécanique de haute précision) et Magellium Artal (traitement d’images satellitaires et de la cartographie numérique).

Dans le même esprit, Sienna Investment Managers a annoncé le lancement du fonds Sienna Héphaïstos, qui accompagnera des PME et ETI de la BITD en dette privée. Le fonds ambitionne de lever entre 500 millions et 1 milliard d’euros auprès d’investisseurs institutionnels, afin de financer la modernisation industrielle, la croissance externe et la montée en cadence. « Un deuxième véhicule investira dans les entreprises du même secteur et sera accessible par l’épargne retraite ou l’assurance-vie », précise Olivia Noirot-Nerin, gérante de fonds de dette corporate. « Les acteurs de la gestion de patrimoine montrent un fort intérêt. »

Autre exemple avec Tikehau Capital, qui adopte une double approche. Depuis 2020, le groupe a investi plus de 700 millions d’euros, aussi bien en capital-investissement qu’en marché coté, dans l’ensemble de la chaîne de valeur défense/aéronautique. « L’Europe dispose d’un écosystème d’entreprises de défense parmi les meilleures au monde, aussi bien les grands donneurs d’ordres que ceux qui les fournissent », affirme Thomas Friedberger, directeur général adjoint de Tikehau Capital. Le Tikehau European Sovereignty Fund, coté en Bourse, consacre ainsi une poche spécifique à la défense au sein d’une stratégie d’actions de souveraineté européenne. En parallèle, la société de gestion poursuit des opérations non cotées par des stratégies « growth » visant à consolider des acteurs clés du secteur.

Reste la question de l’éthique. La défense n’est pas un secteur comme un autre et n’a pas vocation à le devenir. Pour certains, elle reste incompatible avec une approche d’investissement responsable. Pour d’autres, elle mérite d’être réévaluée à l’aune de son rôle concret dans l’économie réelle, assurant une forme de protection silencieuse, devenant l’une des composantes de la résilience économique et restant un pilier de souveraineté. Pour certains investisseurs, le secteur trouvera donc toute sa place dans une stratégie à long terme.

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