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Le dollar s'érode, le yuan s'installe. Tandis que les États-Unis voient leur suprématie financière remise en cause par les tensions géopolitiques et l'arme des sanctions, Pékin accélère le déploiement d'une infrastructure financière parallèle. Son objectif semble limpide : réduire la dépendance mondiale au billet vert et imposer progressivement sa propre devise dans les échanges internationaux.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la réponse occidentale fondée sur des sanctions financières, la Chine a redoublé d’efforts pour proposer des alternatives crédibles au dollar. Dans cette logique, elle mise sur deux leviers majeurs : le système CIPS (Cross-Border Interbank Payment System), lancé dès 2015 pour traiter les transactions en yuan, et le e-CNY, yuan numérique utilisé notamment dans la plateforme mBridge, développée avec des partenaires comme Hong Kong, les Émirats ou la Thaïlande, relève une analyse d'Ostrum.
Les signaux sont là. En avril 2025, 55 % des paiements transfrontaliers chinois ont été réalisés en yuan, contre 30 % un an plus tôt. C’est la première fois que la devise chinoise dépasse le dollar dans les flux financiers de la deuxième économie mondiale. En parallèle, la Chine incite ses partenaires commerciaux – Corée du Sud, ASEAN, pays du Golfe – à régler leurs importations en yuan. Des remises tarifaires et la prise en charge du risque de change par les banques chinoises favorisent cette bascule. Résultat : les paiements aux exportateurs chinois en yuan ont doublé en un an, selon la Banque centrale de Corée.
La portée géopolitique de cette dynamique est majeure. Le système CIPS, souvent présenté comme l’équivalent chinois du CHIPS américain, est aujourd’hui utilisé par 1 300 banques dans 110 pays. Son volume quotidien dépasse les 60 milliards de dollars, et sa montée en puissance s’est nettement accélérée après les sanctions contre la Russie en 2022. Quant à la plateforme mBridge, elle a traité 22 milliards de dollars en 2023, avec des transactions finalisées en moins de 10 secondes – contre 2 à 3 jours pour SWIFT. Son extension prévue à 15 nouveaux pays pourrait porter les flux à 500 milliards de dollars par an.
L’un des leviers les plus sensibles pourrait être la libellisation en yuan (voire en e-CNY) des terres rares, dont la Chine détient 80 % de la production mondiale. Une telle décision, évoquée dans le cadre des négociations avec la Maison Blanche, renforcerait mécaniquement l’usage international de la devise chinoise, notamment dans l’industrie technologique. Plus largement, la yuanisation est conçue comme une parade contre l’extraterritorialité du droit américain. En réduisant la place du dollar dans ses échanges, la Chine cherche à se prémunir contre des sanctions financières semblables à celles imposées à la Russie. C’est aussi un moyen pour ses partenaires économiques – y compris des pays sous sanctions comme l’Iran ou le Venezuela – d’échapper aux contraintes du système dominé par Washington.
Malgré cette dynamique, la domination du dollar reste massive. Le billet vert conserve sa prééminence dans les transactions SWIFT, les réserves de change, et les émissions obligataires internationales. La Chine, de son côté, maintient un contrôle strict sur les mouvements de capitaux, freinant l’attractivité globale du yuan en tant que devise de réserve. C’est là que le bât blesse. Mais l’histoire monétaire récente montre que la domination d’une devise n’exige pas forcément l’ouverture totale des comptes de capitaux. La dollarisation elle-même a commencé dans les années 1950, alors que les États-Unis maintenaient encore de nombreux contrôles.
La Chine construit avec méthode une architecture financière parallèle à l’Occident. En s’appuyant sur CIPS, le e-CNY et la plateforme mBridge, elle offre aux pays tiers une voie de contournement du dollar, rapide, efficace, et potentiellement insensible aux sanctions américaines. Si le yuan est encore loin d’évincer le dollar, il gagne du terrain dans les échanges internationaux et les paiements transfrontaliers. Ce basculement discret pourrait redessiner, à terme, les équilibres monétaires mondiaux.