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Comment la Chine a-t-elle vu naître autant de femmes milliardaires « self made » ?

Le professeur Ming-Jer Chen, spécialiste de la stratégie commerciale et de la concurrence Est-Ouest à la Darden School of Business (University of Virginia) nous fait part de ses réflexions sur les femmes milliardaires chinoises, en nous éclairant sur l'histoire, la culture et l'environnement commercial uniques de la Chine.

Temps de lecture : 5 minute(s) - Par Le professeur Ming-Jer Chen | Mis à jour le 02-07-2020 09:34:00 | Publié le 09-06-2020 09:00  Photo : Professeur Ming-Jer Chen  
Comment la Chine a-t-elle vu naître autant de femmes milliardaires « self made » ?

Malgré des marchés perturbés et la pandémie de COVID-19, un nombre record de 456 Chinois ont été inscrits sur la liste des milliardaires mondiaux de 2020, publiée récemment par le magazine Forbes. Il est particulièrement intéressant d'observer que des femmes milliardaires chinoises apparaissent en nombre sur cette liste.

La plupart des femmes les plus riches du monde, comme Alice Walton et Françoise Bettencourt Meyers, ont hérité de leur fortune. Sur les 234 femmes figurant sur la liste des 2 095 milliardaires publiée récemment par le magazine Forbes, seules 67 sont considérées comme des femmes ayant « réussi seules ». La revue américaine les décrit comme des femmes ayant bâti une entreprise ou une fortune par leurs propres moyens. Près de la moitié d'entre elles sont originaires de la Grande Chine : 28 de la Chine continentale et cinq de Hong Kong. L'Inde, un pays dont la population est comparable à celle de la Chine, ne compte que deux femmes qui ont créé des fortunes de plusieurs milliards de dollars.

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Les femmes milliardaires de l'Empire du Milieu

Actuellement, la « self made woman » la plus fortunée de la planète est Zhong Huijuan. Elle est présidente de Hansoh Pharmaceutical, fabricant de médicaments chinois, et détiendrait 16,3 milliards de dollars. Elle est suivie par Wu Yajun, qui a fait fortune dans le développement immobilier après avoir fondé Longfor Properties dans les années 1990 et dont le patrimoine est estimé à 13,7 milliards de dollars. La troisième sur la liste est Lu Zhongfang, qui a co-fondé avec son fils une entreprise de préparation de tests, Offcn, et qui possède un patrimoine d'une valeur nette de 9,5 milliards de dollars.

Zhong Huijuan, Wu Yajun et Lu Zhongfang représentent une génération de femmes qui font partie de la nouvelle catégorie d'entrepreneurs fortunés de Chine. La plupart de ces femmes sont âgées de 50 ans ou plus. Elles ont été témoins de la période difficile et marquée de la révolution culturelle de Mao, et ont connu à la fois des difficultés et des opportunités lorsque la Chine a ouvert sa porte aux investissements étrangers en 1979. Le désir d'apporter une vie meilleure à leurs enfants a souvent été le moteur de leurs ambitions entrepreneuriales.

Leur richesse provient principalement de l'industrie manufacturière et de l'immobilier. Certaines d'entre elles recherchent également des opportunités aux risques plus élevés dans les domaines de la technologie, de la biotechnologie et de l'IA.

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Le miracle économique de la Chine

Après la Seconde Guerre mondiale, en Chine, la libre entreprise était vue comme un anathème. À l'époque du président du parti communiste Mao Zedong, les capitalistes étaient considérés comme des ennemis de l'État. Le successeur de Mao, Deng Xiaoping, a alors eu une idée : pour devenir prospère, la Chine devait adopter certaines pratiques capitalistes, tout en conservant son idéologie politique. Les entreprises individuelles ont été légalisées en 1981, libérant l'esprit d'entreprise et transformant la société chinoise basée sur l'agriculture en une économie de marché dynamique.

Le boom manufacturier de la Chine à Shenzhen et dans d'autres zones économiques spéciales, qui ont été autorisées à expérimenter le capitalisme, a permis aux femmes de trouver de nouvelles opportunités d'emplois auxquelles elles n'avaient auparavant pas accès. De nombreuses femmes chefs d'entreprise ont gravi les échelons du monde de l'usine et surmonté des circonstances exceptionnelles.



Persévérer malgré les difficultés

Travailler de longues heures est une pratique courante en Chine. L'année dernière, le co-fondateur d'Alibaba, Jack Ma, a défendu la culture du travail « 996 » dans l'industrie technologique sur le site chinois de médias sociaux Weibo : cette culture où les employés sont censés être au bureau de 9 h à 21 h, six jours par semaine.

Comme leurs homologues masculins, les fondatrices travaillent souvent après minuit. Cette vision remonte à l'éthique confucéenne du travail, dont l'un des aspects est le chi ku : l'art de persister dans les difficultés. Ces valeurs, comme le fait de travailler jusqu'à l'épuisement, sont les caractéristiques uniques des entrepreneurs chinois, tant en Chine continentale qu'à l'étranger.

Un autre aspect important du confucianisme, qui explique en partie le succès économique de la Chine, est le sacrifice individuel réalisé au profit de la famille, de la ville d'origine ou de l'employeur.

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Un apprentissage en continu

Au début de la révolution culturelle, toutes les écoles de Chine ont été fermées et certaines universités l'ont été jusqu'à la mort de Mao en 1976. Ceux qui auraient pu recevoir une éducation pendant cette période sont considérés comme la génération perdue.

Certaines femmes milliardaires ne sont jamais allées à l'université, mais cela ne les a pas empêchées d'apprendre. L'éducation est très valorisée en Chine. En développant leurs entreprises, les fondateurs chinois continuent à améliorer leurs compétences pour anticiper les évolutions inhérentes à leurs fonctions. C'est pour cette raison que les programmes de MBA destinés aux cadres sont très demandés et sont devenus le programme phare des écoles de commerce chinoises.

Réseautage et Guanxi

En Chine, les réseaux personnels, ou guanxi, sont la clé du succès des nouvelles entreprises. Le guanxi est un terme renvoyant aux relations qui sont définies par la réciprocité et l'obligation mutuelle et qui sont basés sur la confiance et le partage d'expériences.

Les entrepreneurs qui exercent leurs activités en Chine doivent traiter avec un grand nombre de groupes de parties prenantes, notamment les responsables gouvernementaux et les dirigeants des communautés locales. Les fondatrices excellent dans ce domaine. Elles ont tendance à réfléchir plus globalement. Elles mettent davantage l'accent sur leurs relations avec toutes les parties prenantes clés et occupent souvent des postes nominaux au sein du gouvernement local ou central.

Des entreprises familiales

La notion d'« entreprise familiale » est tout aussi importante que celle de guanxi. Dans la culture traditionnelle chinoise, la famille sert de base à tous les types d'organisations. Même si le modèle d'entreprise familiale n'est pas exclusivement lié aux entreprises dirigées par des femmes milliardaires, il est essentiel pour comprendre les rouages des entreprises chinoises, petites et grandes. Dans le contexte économique chinois, penser aux affaires sous l'angle de la famille est non seulement professionnel, mais également gage d'une responsabilité financière, et cela permet aux employés d'avoir des rapports plus humains avec le chef d'entreprise. En outre, dans une entreprise familiale typique, la structure organisationnelle est optimisée pour réduire la bureaucratie et faciliter la prise de décision rapide.

Les progrès réalisés par la Chine sur la voie de la modernisation et des réformes économiques ont donné aux femmes des opportunités de carrière sans précédent, leur permettant de créer des entreprises privées et de faire fortune.

Toutefois, il serait faux de croire que, dans le passé, les femmes chinoises étaient impuissantes et soumises aux hommes, comme elles sont souvent dépeintes en Occident. Le mot « femme » se prononce en chinois « qi », ce qui signifie « égale ». Dans la tradition chinoise, les femmes sont habituées à exercer un pouvoir et une influence importants, même si cela peut parfois passer inaperçu ».



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