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Depuis près d'un mois, des milliers d'Internautes dénoncent « l'enlaidissement » de Paris sous le mot-dièse #SaccageParis. Propreté des rues, nouveau mobilier urbain, défaut d'entretien, pistes cyclables provisoires... De nombreux Parisiens ne décolèrent pas et se regroupent en association.
14 février 2021. Un internaute en colère créé le compte @PanamePropre sur le réseau social Twitter. Il publie une photo, dénonçant la saleté d'une rue parisienne. On peut y voir un mur de pierres complètement tagué, derrière une série de plots en plastiques jaunes bordant l'une des nouvelles pistes cyclables implantée dans la capitale. Le compte relaye ensuite des images toutes plus édifiantes les unes que les autres. Planches défraîchies en guise de bancs, poubelles qui débordent, rues jonchées de déchets, pieds d'arbres laissés à l'abandon où poussent des mauvaises herbes... En quelques jours, le mouvement prend de l'ampleur. Jusqu'à début avril, lorsque Twitter s'enflamme : en 3 jours, 165.000 messages provenant de 21.000 comptes différents sont postés. Le mot-dièse #SaccageParis se hisse parmi les plus utilisés du réseau social. Problèmes de propreté, tags, nouveau mobilier urbain, politique de végétalisation, abattage d'arbres... Des centaines de personnes évoquent une « défiguration » de Paris. Selon de nombreux messages, la faute serait en grande partie à chercher du côté la ville et de sa maire, Anne Hidalgo. « Une de mes surprises depuis le démarrage de #saccageparis a été de constater que beaucoup de mes amis, littéralement, ne voyaient pas la dégradation. Les choses s'étant faites progressivement, l'oeil s'est habitué à ce qui a fini par paraître normal #saccageparis a été un révélateur », écrit Claude Weil sur le réseau social le 17 avril.
Parmi les sujets principaux qui irritent les internautes, la propreté. Sous le hashtag #SaccageParis, les photos montrant des rues jonchées de détritus sont légion. Le sujet n'est pas nouveau. En 2019, le journal britannique The Guardian avait élu Paris ville la plus sale du continent. « Paris, ville du romantisme, se lamente de sa nouvelle image d'homme sale de l'Europe ». Parmi les photos postées, les tags ont une bonne place. On les retrouve sur des façades, poteaux, armoires électriques... Si pour beaucoup d'Internautes leur présence renforce l'impression « d'insalubrité », voire « d'insécurité », certains riverains dénoncent une certaine complaisance de la part des équipes municipales. Selon une enquête du journal le Figaro, le nom d'une partie de ces tagueurs revient de manière récurrente. « Le plus rageant, c'est que certains d'entre eux ont pignon sur rue », explique Loïc Guézo, président de l'association de riverains Demain la Chapelle. Toute l'ambiguïté se niche dans la différence entre de simples tags et du « street-art ». Début 2020, Penelope Komites-Valadares, adjointe à la mairie, avait ainsi publié une photo d'un mur recouvert de tags, en expliquant que « de nombreux graffeurs reconnus [ont] leur signature sur la petite ceinture », précisant qu'il s'agit d'un « trésor pour les amateurs de street-art ». Une position qui est loin de faire l'unanimité parmi les Parisiens.
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Autre sujet qui crispe les Internautes : la voirie. Bien au-delà des difficultés de circulation dans la capitale, qui semblent peu, voire pas du tout évoquées, c'est l'aspect des nouvelles pistes cyclables qui est le principal sujet de discorde. La précédente mandature d'Anne Hidalgo a vu se développer la place du vélo. Une action en cohérence avec le projet de la mairie, qui prône la réduction de la place de la voiture. La crise du COVID-19 a poussé la ville à multiplier ces voies dédiées afin de décharger les transports en commun. De nombreux Parisiens ont ainsi pu se réapproprier la bicyclette : en un an, le nombre de cyclistes a progressé de 52%. 500.000 vélos circuleraient désormais dans la capitale, soit autant que les deux-roues motorisés. Reste que dans la précipitation, ces « coronapistes » ont été délimitées par des plots jaunes en plastique, dont l'esthétique est très critiquée par les adeptes de #SaccageParis. Leur multiplication détonne, notamment à proximité des monuments et immeubles haussmanniens.
L'implantation des « coronapistes » a aussi provoqué des « dommages collatéraux ». Ces nouveaux aménagements ont nécessité de tracer des marquages au sol provisoires et de déplacer de nombreux feux-rouges. Ceux-ci se retrouvent au milieu de la chaussée, plantés dans des blocs de béton et branchés par des fils pendant au-dessus des rues. En parallèle, le défaut d'entretien des équipements existants est pointé du doigt par les Internautes. Les photographies de feux-rouges dont les boîtiers électriques sont ouverts fils pendant, ou réparés avec du scotch, sont légion. Ces installations, souvent jugées bancales dans les messages postés sur Twitter, font écho à un sujet de mécontentement plus large : les travaux. Le mot-dièse #SaccageParis fourmille de photos de trottoirs éventrés ou troués, et de barrières de chantiers. Certains messages évoquant leur présence depuis des mois, voire des années, sans que les travaux avancent. Là encore, le sujet n'est pas nouveau. Les nombreux chantiers de la capitale sont pointés du doigt au moins depuis 2018. Le 29 avril 2021, la capitale comptait 6406 chantiers : à Paris, il y a donc actuellement plus de chantiers en cours que de rues. Selon les données du site Opendata Paris, la mairie ne serait maître d'ouvrage que de 9% d'entre eux. Le reste est sous la responsabilité de tiers, privés ou gestionnaires des réseaux d'électricité, de gaz ou de la RATP. Tous les travaux sur le domaine public restent cependant soumis à l'autorisation des services de la ville. Le service de la voirie est également sous le feu des critiques pour les modifications de signalisations, parfois à l'origine de situations ubuesques qui soulèvent la colère des usagers. A l'image de ce carrefour à 4 sens-interdits rue de Rivoli, qui piège les voitures s'étant engagées et oblige les conducteurs à choisir entre poursuivre leur trajet à contre-sens ou emprunter une voie de bus, sous la surveillance d'une caméra de vidéoverbalisation.
Les internautes ne sont pas tendre non plus à l'égard du nouveau mobilier urbain qui fleurit depuis quelques temps dans la capitale. L'équipe municipale souhaite en effet « réinventer Paris », notamment au travers d'une « nouvelle esthétique », en passant notamment par la végétalisation et mobilier urbain. Dans un manifeste publié en 2020, la mairie explique vouloir « préserver l'esthétique parisienne sans pour autant verser dans un conservatisme qui pourrait à terme faire de Paris, une ville musée, alors qu'elle a toujours été, au contraire, une ville audacieuse sachant s'adapter aux défis contemporains. » Les initiatives prises jusqu'à maintenant sont cependant loin de faire l'unanimité. Toujours sous le mot-dièse #SaccageParis, certains Internautes dénoncent une dénaturation de l'image de Paris. Publiant une photo de blocs de granite installés en tant que banc, Didier Rykner, parisien et directeur du magazine La Tribune de l'Art, ironise : « Quelqu'un a déposé des gravats place du Panthéon @Parisjecoute, pouvez-vous faire quelque chose ? ». D'autres dénoncent un « style ZAD », certains lieux accueillant désormais un mobilier urbain faits de récupération. Pour d'autres Internautes, la végétalisation est elle aussi « ratée ». De nombreux tweets dénoncent l'abattage d'arbres, à l'image du tronçonnage de la glycine qui coiffait le restaurant Le Plumeau à Montmartre, qui a surpris les habitants en mars 2021. Depuis quelques années, la ville dispense des « permis de végétaliser » : les habitants sont invités à jardiner au pied des arbres ou dans les jardinières installées par la mairie, après avoir déposé un projet auprès de ses services. Mais l'opération semble avoir obtenu un succès discutable. Sur les réseaux sociaux, nombreuses sont les photos montant des pieds d'arbres en proie aux mauvaises herbes et des jardinières laissées en friche, et parfois cassées.
Depuis que le mouvement #SaccageParis a pris de l'ampleur, la mairie de Paris semble peiner à répondre. Début avril, Anne Hidalgo avait d'abord nié le mouvement, indiquant qu'il s'agissait d'une « campagne de dénigrement » dont l'origine était « proche de l'extrême droite ». Selon l'édile, certaines photos étaient « anciennes ou prises avant le passage des équipes de propreté ». Le 3 avril, Marine Le Pen, présidente du Rassemblement National, avait effectivement donné de l'écho à la campagne. « Les milliers d'images partagées avec le hashtag #SaccageParis brisent le coeur des amoureux de Paris. Bravo aux Parisiens révoltés ! La dégradation de notre si belle capitale par l'équipe Hidalgo est une souffrance nationale qui ne doit laisser aucun Français indifférent. » Mais l'argument d'une politisation du mouvement a rapidement été balayé par les Internautes eux-mêmes. « C'est parti d'un coup de colère ! », a indiqué le créateur du compte @PanamePropre, à l'origine du mouvement, au journal le Parisien. « Je suis Parisien depuis vingt ans et j'ai vu la ville se dégrader depuis l'arrivée d'Anne Hidalgo à la tête de l'Hôtel de Ville » a-t-il expliqué, ajoutant avoir été « proche autrefois » de l'UDF (centre) et n'appartenir aujourd'hui à « aucun parti ». Le caractère populaire et non politique du mouvement a notamment été confirmé par l'enquête de la journaliste Samira El Gadir, qui a livré ses conclusions sur TF1. Selon elle, les profils des comptes Twitter utilisant #SaccageParis sont très peu liés à l'extrême droite. Elle souligne par ailleurs que cette tendance politique « pèse très peu à Paris, à peine 1,5% des voix aux dernières élections municipales ».
Pointée du doigt pour « l'enlaidissement » de Paris par des milliers d'internautes, Anne Hidalgo dément. Interviewée le 15 avril par Caroline Roux dans les 4 vérités sur France 2, l'élue socialiste a affirmé avoir au contraire participé à l'embellissement de la capitale depuis son élection en 2014. « Le rayonnement qu'a repris Paris à l'international le prouve », a-t-elle martelé. La mairie admet toutefois l'existence d'un problème de propreté. Dans les colonnes du Journal du Dimanche, Colombe Brossel, en charge de la propreté de l'espace publique, estime que « Paris n'est pas sale tous les jours et partout, mais il y a des endroits où nous devons clairement améliorer le niveau de service ». Elle assure cependant que « la situation n'est pas aussi catastrophique que ça ». Pour faire face, l'équipe municipale souhaite doubler son budget propreté avant la fin de son mandat, et décentraliser sa gestion aux arrondissements. « Ce transfert de compétences, de moyens et d'effectifs aux maires d'arrondissement leur donnera la capacité de choisir où, quand et à quelle fréquence il faut nettoyer telle ou telle rue », a expliqué l'adjointe d'Anne Hidalgo. Le nombre d'agents dédiés devrait aussi doubler. La mairie fait aussi appel à l'État, afin de pouvoir augmenter les amendes pour incivilités qui s'élèvent au maximum à 135 euros aujourd'hui.
Sur les autres sujets, les réponses de la mairie restent plus discrète. La ville a annoncé lancer des travaux dès cet été pour pérenniser 60 kilomètres des coronapistes. Objet de discorde, les plots jaunes sont donc censés disparaître. Mais les Parisiens devront être patients, puisque les travaux sont prévus pour durer 2 ans. Concernant la « nouvelle esthétique » de Paris, qui inclue le mobilier urbain et la végétalisation, la mairie a lancé une consultation citoyenne sur le site idee.paris.fr. Les particuliers peuvent y donner leur avis sur certains équipements et partager des idées pour embellir leur quartier. Mais le mouvement #SaccageParis semble voué à perdurer. Selon les informations du Figaro, les personnes qui ont lancé ce mouvement ont déposé les statuts d'une association, nommée « Union parisienne ». Son objectif : « rassembler toutes les structures associatives qui existent déjà et défendre l'âme de Paris ».