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Il aurait pu faire carrière dans la recherche : il a choisi l'entrepreneuriat. En trois ans, sa startup a décollé et entre en Bourse, avant d'affronter l'une des plus violentes crises de ce début de siècle. Voici comment ce dirigeant hors normes a réussi le « sauvetage de l'impossible ». Article extrait du magazine print Idéal Investisseur n°5.
Né en 1969 dans un Liban bientôt ravagé par la guerre civile, Jean Michel Karam grandit au rythme des bombardements, des coupures d’électricité, des écoles qui ferment. À 20 ans, il monte dans un avion, direction la France. Grenoble sera sa terre d’asile. « Mes parents se sont privés de tout pour leurs enfants. J’étais en course contre le temps, je voulais réussir vite, gagner de l’argent vite, mettre les miens à l’abri », explique-t-il. Classes préparatoires, école d’ingénieur, doctorat en microélectronique : très vite, il entre au CNRS et y constitue un groupe de recherche autour des MEMS, des microsystèmes électromécaniques mobiles à l’échelle microscopique, aujourd’hui présents dans de nombreux équipements industriels. Mais la recherche ne suffit pas à combler ses attentes : « Je n’étais pas fait pour les colloques et les rapports. Moi, je voulais livrer, vendre, créer. »
En 1998, il quitte le CNRS pour fonder sa première société : MEMSCAP. A l’époque, la loi Allègre permettait aux chercheurs d’entreprendre pendant deux ans et de réintégrer leur poste en cas d’échec, mais il refuse le dispositif. « Je ne voulais pas avoir de porte de sortie. Quand c’est dur, si vous avez un parachute, vous l’ouvrez. Moi, je voulais apprendre à voler. » Un mantra qui lui inspirera bien plus tard le titre de sa chaîne Youtube, Entrepreneur en vol, sur laquelle il raconte son histoire. La société démarre avec quatre salariés, trois mois de trésorerie et une technologie d’avenir : il faut réussir vite. À l’époque, les MEMS sont peu industrialisés en Europe, mais promettent des applications majeures. La société prend rapidement son envol grâce à deux tours de table de 13 millions d’euros menés auprès de fonds de capital-investissement. Deux ans après sa création, elle est valorisée 45 millions d’euros.
Jean Michel Karam voit plus loin. Il veut doter MEMSCAP de sa propre usine pour maîtriser la fabrication de ses MEMS et prévoit d'acquérir d'autres entreprises : il lui faut lever davantage de fonds. En mars 2001, MEMSCAP lève 101 millions d’euros en Bourse, pour une valorisation de 430 millions. La trajectoire semble idéale. Les caisses sont pleines, la société triple son chiffre d’affaires en un an, rachète une première entreprise, inaugure une usine flambant neuve pour 60 millions d’euros, en lance une seconde en Égypte. Mais la tempête se lève. Depuis mars 2000, la bulle internet a commencé à se dégonfler aux États-Unis. Le secteur technologique, jusqu’ici porté par une euphorie boursière sans précédent, s’effondre. Fin 2002, le Nasdaq aura perdu près de 80 % de sa valeur, et la France n’est pas épargnée. MEMSCAP, très exposée au secteur des télécoms via ses composants pour la fibre optique, subit la crise de plein fouet. Les besoins des opérateurs s’effondrent, les stocks explosent, les commandes sont annulées en cascade. Ce qui devait être une phase d’expansion devient un combat pour la survie.
Les perspectives de chiffre d’affaires pour 2002 passent de 72 millions à 800 000 euros. Jean Michel Karam en est convaincu : le marché ne va pas repartir rapidement. Si la trésorerie permet de tenir quelques temps, pour survivre il faudra trouver d’autres débouchés. La solution : racheter des entreprises à la portée de MEMSCAP. Alors que sa valeur boursière plonge, elle rachète le norvégien Capto et l’américain Cronos, qui produisent des MEMS pour l’aéronautique et le médical. Chaque acquisition est négociée dans les conditions de marché dégradées qui profitent à l’acheteur. Cash is king. Début 2003, la situation reste néanmoins critique. MEMSCAP affiche 42 millions de dépenses annuelles pour 4 usines presque vides, 11 implantations dans 8 pays, 269 salariés (dont 169 en France) et 37 millions de dettes. Comme un clin d’œil ironique aux débuts de la société, il ne reste que trois mois de trésorerie. Jean Michel Karam ne veut pas abandonner : il va falloir réapprendre à voler. « Encore aujourd’hui, il n’y a pas une journée où je ne mets pas un genou à terre. Mais je viens d’une montagne libanaise : je me bats toujours et je me relève », explique-t-il. Méthodique, il déploie le plan « Utopia », séquencé en 105 tâches. En une seule année, la société doit diviser ses coûts par trois, remonter son chiffre d’affaires à 7 millions d’euros malgré la fonte des moyens humains, lever 15 millions supplémentaires pour faire face et échelonner sa dette : « un sauvetage de l’impossible », mais il y croit.
Un investisseur se dit prêt à injecter des fonds. Mais les conditions sont inacceptables : il s’agit ni plus ni moins que de racheter la société à la casse. Jean Michel Karam décline. De là naît une idée : acquérir d’autres sociétés du même secteur, disposant de liquidités et soutenues par du capital-risque, mais dont les investisseurs sont désormais sans possibilité de sortie puisque le marché s’est effondré. Objectif : les racheter pour la valeur de leur trésorerie et ne conserver que leurs brevets et technologies. Moyen de paiement : des actions MEMSCAP à la valeur de marché + 20%. Première cible : une société spécialisée dans l’optique, qui apporte 1,5 million d’euros d’argent frais. Mais ce montant ne suffit pas à tenir. L’entrepreneur propose alors une mécanique incitative aux nouveaux investisseurs : pour chaque nouvel euro levé par MEMSCAP, ils devront injecter un euro supplémentaire. Le procédé permettra finalement de lever 20 millions grâce à trois acquisitions (Galyor, Opsitech et Optogone) et des opérations relutives sur le marché. MEMSCAP récupère du cash, des technologies clés et parvient à relancer son chiffre d’affaires. Le cours de l’action remonte de mois en mois, la dilution reste limitée. Fin 2007, la cession des actifs immobiliers français permet à la société de la solder sa dette et de retrouver l’équilibre. Un an plus tard, sa valorisation atteint à nouveau les 100 millions d’euros en bourse.
En 27 ans, MEMSCAP a traversé d’autres tempêtes. Aujourd’hui, elle est devenue un acteur solide sur les marchés des MEMS à haute valeur ajoutée dans l’aéronautique, le médical et la défense. Loin des logiques de production de masse, l’entreprise s’est imposée sur des segments où la précision et la fiabilité technologique priment sur la course au volume. Toujours aux commandes, Jean Michel Karam s’est aussi lancé dans d’autres activités. S’il est désormais reconnu dans la rue pour son rôle de jury de l’émission Qui Veut être Mon Associé ? sur M6, il entreprend depuis des années dans la beauté et la cosmétique personnalisée avec IEVA Group, dont font partie l’enseigne Atelier du Sourcil et la marque IOMA. Une manière de défier le temps ? « Le temps c'est l'ennemi : j’ai couru toute ma vie à essayer de le battre... mais il m’a battu en première phase. Je voulais faire des choses pour ma mère, je n’ai pas pu. L'argent n'a rien changé. Et jusqu’à maintenant, je n’ai pas arrêté de courir. » Alors il pose quelques fois les armes, sans rien renier de sa nature de compétiteur. « Il faut prendre toute la vie comme un jeu. [...]. Je suis en bonne santé, mes proches aussi, donc tout va bien. » Un reflet simple de sa philosophie : « Il faut vraiment vivre, pas simplement exister. »