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Privée de statistiques officielles par le “shutdown” fédéral, la Réserve américaine doit décider d’une nouvelle baisse des taux sans boussole économique. Un pari risqué qui souligne la fragilité du pilotage monétaire dans un monde saturé d’incertitudes.
Pour Vincent Reinhart, Chief Economist chez BNY Investments et ancien haut responsable de la Fed, cette situation « crée un paradoxe : une banque centrale habituellement dépendante des données peut, faute d’en avoir, se montrer plus accommodante ». Autrement dit, la Fed agit à l’instinct, en anticipant un possible ralentissement économique sans preuve tangible.
Cette perte de visibilité tombe mal. Après une année de désinflation rapide, le marché de l’emploi montre des signes d’essoufflement et les ménages américains ralentissent leurs dépenses. Sans chiffres officiels pour arbitrer entre baisse de la demande et persistance de l’inflation, les membres du Federal Open Market Committee (FOMC) s’appuient sur des données privées fragmentaires et sur les prévisions des grandes banques.
L’enjeu est considérable : si la Fed assouplit trop tôt, elle risque de relancer les tensions sur les prix ; trop tard, et elle provoque un atterrissage brutal du marché du travail. Ce pilotage sans instruments illustre la dépendance du système économique moderne à la transparence statistique — un élément que peu d’observateurs avaient anticipé.
Pendant que la Fed tâtonne, la Banque centrale européenne (BCE) maintient ses taux inchangés à 2 %. Sa présidente, Christine Lagarde, s’efforce de rassurer : l’économie de la zone euro reste « dans une bonne situation », malgré un ralentissement industriel en Allemagne et une inflation légèrement supérieure à l’objectif.
« Il faudrait un ensemble de données nettement plus faibles sur l’activité et un signe clair de décélération des prix pour que la réunion de décembre devienne décisive », analyse Geoff Yu, Senior EMEA Market Strategist chez BNY. En d’autres termes, la BCE préfère attendre — quitte à accentuer le décalage transatlantique.
Ce différentiel de politique monétaire n’est pas neutre. L’écart de rendement entre les obligations américaines et européennes alimente la force du dollar, renchérit les importations en Europe et pèse sur les marges des entreprises exportatrices. Sur les marchés, cette dissymétrie se traduit par une volatilité accrue des devises et une réallocation partielle des flux de capitaux vers les États-Unis, jugés plus réactifs.
Dans ce contexte, les marchés financiers scrutent le moindre mot des banquiers centraux. Faute de chiffres, la communication devient le principal instrument de politique monétaire. Chaque phrase du communiqué du FOMC, chaque inflexion du ton de Jerome Powell, devient une donnée en soi.
Mais le risque est double : d’un côté, une sous-réaction qui pourrait accentuer le ralentissement ; de l’autre, une surréaction qui pourrait déstabiliser les marchés. Cette situation de flou statistique rappelle combien la politique monétaire, malgré ses modèles sophistiqués, demeure un art d’équilibriste.
À l’heure où la Fed agit sans boussole et où la BCE temporise, une question domine les salles de marché : faut-il encore croire aux banques centrales omniscientes ?
La réponse, pour l’heure, se lit davantage dans les marges que dans les chiffres.