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La loi pour la modernisation de l'économie, nommée loi Pacte, a récemment été votée à l'Assemblée Nationale. Son article 26 donne un cadre légal à un nouveau type d'investissement et de financement des entreprises : ceux réalisés en "ICO", un principe d'émission de jetons virtuels. Ces opérations échappaient pour le moment à tout cadre juridique clair. La France fait le pari de l'innovation, et devient le premier pays du monde à instaurer un cadre légal.
L'Initial Coin Offering (ICO), ou « offre initiale de jetons » en français, est un procédé de levée de fonds ayant pour base les cryptomonnaies (« monnaies » virtuelles telles que le Bitcoin qui sont apparues sur Internet). D'ordinaire, pour financer leur activité les entreprises et startups collectent des fonds en vendant des titres financiers. Ceux-ci correspondent le plus souvent à des actions (parts de leur capital) ou des obligations (titres de créance). Dans le cadre d'une ICO, elles émettent des actifs numériques nommés « jetons » ou « tokens ». Ceux-ci sont uniquement échangeables contre des « cryptomonnaies », et n'entrent pas dans la définition juridique des titres financiers. Tout passe ici par la « e-finance » : l'apport d'argent dans l'entreprise se réalise totalement au moyen des technologies numériques. L'investisseur acquiert non pas des parts de l'entreprise, mais des « jetons ». Ceux-ci donnent généralement un droit, par exemple celui d'utiliser le service qui sera développé par l'entreprise. Ils correspondent plus rarement à des parts. Les tokens détenus par les investisseurs suite à une ICO sont échangeables sur des plateformes de cryptomonnaies. Le tout repose sur la technologie de la blockchain, procédé permettant de sécuriser les transactions. Les levées de fonds en ICO ont vu leur nombre croître de façon spectaculaire entre 2017 et 2018. Actuellement, on estime le total des levées de fonds à 9 milliards de dollars, dont 4 milliards levés uniquement depuis le début d'année. Elles concernent à ce jour plutôt des sociétés innovantes, qui souhaitent attirer de nouvelles catégories d'investisseurs et de clients, selon des modalités inédites.
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Si les levées de fonds et l'émission de titres financiers sont très règlementées par l'Etat via l'Autorité des Marchés Financiers, les ICO restent encore dans un certain flou juridique (voire économique), qui leur permet d'échapper aux règles contraignantes de l'offre au public de titres financiers (anciennement nommé appel public à l'épargne) et à l'utilisation de plateformes de crowdfunding labellisées. "Cette situation a pour avantage de laisser libre cours à l'innovation. Elle a néanmoins pour inconvénient de mettre sur le même plan tout type d'émetteur et de projet, sans fournir aux souscripteurs de jetons des moyens suffisants pour distinguer les offres sérieuses de celles abusives, et les acteurs qui mettent en œuvre des diligences en matière d'information, d'identification et de connaissance du client, de ceux qui ne respectent aucune règle », expliquait Bruno Le Maire en présentant l'article 26 de loi Pacte à l'Assemblée Nationale. L'enjeu est important. D'un côté le nombre d'ICO s'accélère. De l'autre, le taux d'offres frauduleuses est important puisque la possibilité d'effectuer des opérations financières en dehors de tout cadre légal attire des personnes malveillantes (arnaques, blanchiment...). D'après une analyse du Wall Street Journal, sur 1450 ICO réalisées depuis 2014 (dont 900 en 2017), près de 19% étaient en réalité des arnaques : le journal américain a relevé de nombreux plagiats de documents d'informations destinés aux investisseurs, des usurpations de l'identité des porteurs de projets et des promesses de rendement impossibles à tenir. Les Etats font donc face à un nouveau défi, puisqu'il s'agit de donner un cadre protecteur aux investisseurs particuliers, tout en laissant se développer les innovations. Dans ce domaine, le ministre de l'Economie et des Finances a d'ailleurs affiché de grandes ambitions, souhaitant faire de la France le premier grand centre financier à proposer un cadre législatif et juridique clair et adapté pour les porteurs de projets et les investisseurs potentiels. «Il faut de la liberté technique et de la sécurité juridique [...] deux piliers qui feront que le modèle français pourra inspirer d'autres nations », a-t-il affirmé.
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Avec l'article 26 de loi Pacte, la France est devenue le premier pays du monde à adopter une législation spécifique sur les ICO. Un cadre voulu souple par rapport aux usages de la finance d'entreprises, destiné à faire émerger des « offres vertueuses » et à attirer les investisseurs étrangers. La loi instaure ainsi la possibilité pour les émetteurs d'ICO d'obtenir un label de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) s'ils respectent un certain nombre de règles. Ce label, qui restera optionnel, leur permettra d'être inscrits sur une « liste blanche ». Les émetteurs seront toutefois obligés de mettre en place un mécanisme de séquestre des fonds récoltés (afin d'éviter que l'argent ne disparaisse dans la nature) et de constituer une société pour éviter que les données relevant de l'identité réelle des porteurs du projet soit inconnue. Volet réclamé par les porteurs, les investisseurs et les plateformes d'échanges, les sociétés émettrices disposant du label de l'AMF auront désormais un « droit au compte bancaire ». En cas de refus des banques, elles pourront désormais se tourner vers la Caisse des Dépôts et Consignations. Enfin, le texte autorise les fonds destinés aux seuls investisseurs professionnels à investir dans les crypto-actifs, notamment les jetons des ICO.
Que l'on ne s'y trompe pas, malgré la souplesse du cadre posé par la loi PACTE, l'achat de tokens fait partie des investissements les plus risqués du moment. Non seulement parce qu'il s'agit de placements liés à des entreprises innovantes et souvent nouvellement créées qui peuvent prendre de la valeur comme faire faillite ; mais également car il n'y a aucun recul permettant d'évaluer comment les ICO, la blockchain (qui en est aussi à ses débuts) et les cryptomonnaies vont évoluer. Les monnaies virtuelles font beaucoup parler d'elles mais leur utilisation dans l'économie réelle reste encore rare. Elles ne sont d'ailleurs pas (encore?) reconnues juridiquement comme des monnaies. Non liées à un pouvoir d'achat, elles sont spéculatives puisque leur valeur repose presque exclusivement sur le jeu de l'offre et de la demande de la monnaie pour elle-même. Cela explique (au moins en partie) l'explosion de la valeur du Bitcoin en fin d'année 2017, suivi de son violent repli début 2018 (le Bitcoin a perdu les deux tiers de sa valeur en moins d'un an). La valeur d'un token issu d'un ICO subit donc une sorte de « risque de change », qui expose l'investisseur à la fois au risque de l'évolution négative de l'entreprise émettrice et au risque de dévaluation (ou de disparition) de la cryptomonnaie utilisée. Enfin, n'oublions pas que l'ensemble de la chaîne repose sur l'utilisation de services numériques, au sujet desquels les spécialistes en cyber-sécurité nous alertent régulièrement. La finance numérique en est, elle aussi, à ses débuts. Il est impossible à l'heure actuelle de savoir s'il s'agit d'un placement d'avenir ou d'un mirage. Néanmoins l'établissement d'un premier cadre légal pour les ICO (et non pas pour les interdire) permet d'envisager leur développement à moyen terme, et pourquoi pas la reconnaissance officielle d'une cryptomonnaie dans le même sillon.