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La loi Elan a certes des points positifs pour la simplification de la gestion des copropriétés, mais elle ne règle pas tous les problèmes. Le contentieux entourant la tenue des assemblées générales, notamment, ne semble pas prêt à se tarir. Tribune par Romain Naudin, associé-gérant fondateur de la société Pickering Real Estate.
La loi ELAN, adoptée le 23 novembre 2018, se veut ambitieuse sur le sujet sensible de la gestion des immeubles en copropriété et habilite notamment le gouvernement à prendre deux ordonnances promettant une refonte profonde du droit de la copropriété. A l'heure où le gouvernement prévoit de rendre sa copie concernant l'une de ces ordonnances, il est utile de faire le point et d'analyser dans quelle mesure cette loi permet de changer le secteur. Le régime de la copropriété concerne prés de 10 millions de logements en France. Il n'est donc pas étonnant que les réformes qui tendent à bousculer ce domaine depuis une décennie soient scrutées de près, autant par les acteurs professionnels que par les représentants des consommateurs. Le fonctionnement des immeubles en copropriété, fixé par la loi du 10 juillet 1965, a évolué en se complexifiant. La loi ELAN a incontestablement eu du bon. Entre l'élaboration d'une procédure unique et simplifiée pour recouvrer les impayés de charges de copropriété, l'élargissement des possibilités de déléguer son droit de vote en assemblée générale des copropriétaires, les nouvelles sanctions prévues à l'encontre des syndics qui traineraient les pieds pour transmettre certains documents au conseil syndical, l'inscription dans la loi de la définition du lot transitoire, ou encore le transfert de l'entretien des colonnes montantes d'électricité à Enedis, le législateur a montré qu'il savait à la fois simplifier, adapter et clarifier des problèmes qui rouillaient la gestion des syndicats de copropriétaires et encombraient les tribunaux depuis des années.
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Pourtant, certains points de crispation demeurent, voire commencent à émerger. La loi ELAN ne règle en effet pas totalement les inquiétudes concernant les abus des syndics et des prestataires professionnels que les associations de copropriétaires telle que l'Association des Responsables de Copropriété (ARC) ne cessent d'épingler. Quant au souci de simplification globale du fonctionnement des copropriétés – et notamment des règles sur l'organisation et la tenue des assemblées générales –, la réforme se montre encore trop timide, voire ajoute à la complexité ambiante. Le nouvel article 17-1 A de la loi du 10 juillet 1965 est de ce point de vue un exemple de source potentielle de contentieux dans le futur : il dispose non seulement que les copropriétaires peuvent participer aux assemblées générales par visioconférence ou tout autre moyen de communication électronique permettant leur identification – ce qui est a priori une bonne idée en phase avec la technologie, posant néanmoins la question des éventuels problèmes techniques qui surviendraient au cours de l'assemblée générale –, mais aussi qu'ils peuvent voter par correspondance avant la tenue de l'assemblée générale, «au moyen d'un formulaire ». La loi prévoit alors que, dans ce cas, « les formulaires ne donnant aucun sens précis de vote ou exprimant une abstention sont considérés comme des votes défavorables », de même que les votes par correspondance ayant porté sur des résolutions qui, à l'issue des débats en assemblée générale, « ont évolué de manière substantielle ». Cette disposition, si elle s'appuie au départ sur l'excellente intention de permettre aux copropriétaires physiquement absents de participer, fait craindre que les votes importants ne soient constamment bloqués par des formulaires insuffisamment remplis ou par des litiges qui ne manqueront pas de survenir lorsqu'il faudra savoir à partir de quand une résolution est considérée comme ayant évolué de manière substantielle... Notons que les modalités du vote par correspondance doivent encore être précisées dans un décret qui n'est pas encore paru, ce qui laisse envisager des précisions ultérieures salutaires. Autre facteur d'instabilité : le contenu de l'une des ordonnances attendues du gouvernement doit en principe définir des régimes juridiques spécifiques à des catégories de copropriété définies en fonction de leur dimension (nombre de lots). S'il est amplement justifié que les petites copropriétés de quelques lots bénéficient d'un mode de fonctionnement beaucoup plus souple et adapté qui pourrait par exemple être inspiré de celui des indivisions, il serait dommageable de profiter de l'instauration de règles particulières pour empiler les catégories spéciales et créer in fine un millefeuille dans lequel personne ne s'y retrouverait.
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S'agissant des abus des professionnels auxquels la loi ELAN a souhaité s'attaquer, il faut remarquer que des progrès ont été faits, même si la situation demeure loin d'être réellement satisfaisante. La réforme renforce les contraintes à l'égard des syndics, en leur imposant notamment une obligation de communication au conseil syndical des principaux documents relatifs à la gestion de la copropriété sous peine de pénalités journalières, mais aussi de tenir à disposition des copropriétaires un certain nombre de documents légaux (PV, contrats, factures...) dans un extranet sécurisé. Quant aux honoraires d'état daté, souvent décriés par les associations de copropriétaires, ils seront dorénavant plafonnés par décret. Cette nouvelle réglementation a l'avantage d'encadrer plus strictement les pratiques des syndics professionnels, mais traite-t-elle réellement le problème des abus à la racine ? Nombre de plaintes émanent de copropriétaires gérés par de grands groupes de syndic, dont les gestionnaires de copropriété doivent gérer un nombre trop important d'immeubles. Résultat : opacité, incapacité à être réactif, absence de connaissance des problèmes, absence de renégociation ou d'audit des contrats, absence de prise en charge des travaux... Ajoutons à ce tableau le turnover parfois impressionnant des gestionnaires et les pratiques peu scrupuleuses de certaines brebis galeuses (surfacturation, rétro-commissions...), et nous ne pouvons que comprendre le ras-le-bol des associations de copropriétaires. La mise en concurrence des syndics imposée par la loi ALUR de 2014 n'a que peu changé la situation, d'autant que mettre en concurrence pour mettre en concurrence n'a aucune utilité en soi. La baisse des abus – qui entraine logiquement celle des charges de copropriété – nécessite un plus fort contrôle de la part de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF), ainsi que des facilités accrues de poursuivre judiciairement les syndics abusifs ou négligents et une meilleure information des copropriétaires. Le constat est le suivant : s'il est trop tôt pour dresser un bilan exhaustif de la loi ELAN en matière de copropriété, il faut admettre que cette réforme a permis des ajustements nécessaires. Il est néanmoins regrettable que le législateur n'ait pas souhaité réellement simplifier la technicité de certaines règles. Le contentieux entourant la tenue des assemblées générales, notamment, ne semble pas prêt à se tarir, de même que les abus des professionnels. Il faut espérer que les prochaines ordonnances ne complexifient rien.
Romain Naudin est associé-gérant fondateur de la société Pickering Real Estate, cabinet indépendant de syndic de copropriété et de gestion immobilière en Ile-de-France.