Continuer avec Google
Continuer avec Facebook
Continuer avec Apple
Le Sénat vient d'adopter le projet de loi qui permettra à l'État de taxer les géants de l'Internet. La France devrait donc bientôt figurer parmi les pays pionniers à instaurer une telle fiscalité. Décrié par les États-Unis, le texte reçoit également quelques critiques en France, accusé tantôt de ne pas aller assez loin, tantôt de compromettre la croissance d'entreprises françaises.
- La taxe devrait concerner 30 entreprises et devrait rapporter 400 millions d'euros à l'État en 2019 - Elle doit être provisoire, le temps qu'un compromis international soit trouvé à l'échelle de OCDE - Pour certaines sensibilités de gauche le texte n'est pas suffisant à résoudre l'exil fiscal, tandis que certaines sensibilités de droite pensent qu'il risque de pénaliser l'économie
Le Sénat, majoritairement à droite, vient de voter en faveur de la création d'une taxe dédiée aux géants du numérique, dite « Taxe GAFA » (181 voix contre 4). Si la loi est définitivement adoptée par l'Assemblée Nationale, elle ne devrait concerner qu'une trentaine d'entreprises telles que AirBnB, Instagram, Booking, Uber, Microsoft, Facebook, Amazon ou Meetic. Les critères pour y être soumis sont en effet très restrictifs : exercer des activités numériques qui génèrent plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires dans le monde, dont au moins 25 millions en France. La taxe cible les activités numériques comme la publicité en ligne, la vente de données à des fins publicitaires et la mise en relation d'Internautes. Le chiffre d'affaires réalisé en France sur ces activités sera ainsi taxé à hauteur de 3%. Cette nouvelle mesure fiscale devrait rapporter 400 millions d'euros à l'État en 2019, puis 650 millions en 2020. A lire également : Besoin de comprendre pourquoi le texte doit retourner à l'Assemblée Nationale ? Découvrez notre article sur « comment se vote une loi ». Envie d'en savoir plus sur le rôle du Sénat ?
La loi est inspirée d'un projet européen qui s'est jusqu'à maintenant heurté aux réticences de l'Irlande (pays fiscalement attractif où la plupart des géants ont un siège européen), mais aussi de pays scandinaves. Face à l'absence de consensus, la France a décidé de créer sa propre taxe GAFA en attendant un accord européen, voire même international au travers des pays de l'OCDE. Ainsi le ministre de l'Économie Bruno Le Maire envisage cette loi comme un « levier » permettant d'appuyer les négociations internationales dans l'attente d'un compromis. Il s'est d'ailleurs engagé à la retirer dès qu'un consensus se dégagera au sein de l'OCDE. Une promesse qui n'a pas apaisé la colère de Washington, qui considère la loi comme « extrêmement discriminatoire à l'égard des multinationales basées aux États-Unis ». Au moins d'avril, le chef de la diplomatie Mike Pompeo avait expressément demandé à la France d'y renoncer. Afin de marquer le caractère transitoire de cette « taxe GAFA », les sénateurs ont enrichi le texte d'un amendement visant à limiter son application à 3 ans, de 2019 à 2021. Selon la procédure des votes des lois françaises, cet ajout peut être soit validé par l'Assemblée Nationale, soit retiré, avant la validation définitive du texte.
Rejoignez la communauté Idéal investisseur ! Je m'inscris
Le 4 avril dernier, Bruno Le Maire pointait du doigt dans un Tweet le fait que « les géants du numérique payent 14 points d'impôts de moins que les PME ». Un fait vécu depuis longtemps comme une injustice fiscale. Pour autant, le texte a aussi soulevé quelques critiques. Voté à l'Assemblée Nationale début avril par 55 voix contre 4 (et 5 abstentions), la plupart des députés lui sont favorables. Néanmoins, certains à gauche auraient souhaité étendre sa portée (LFI et PCF) et d'autres à droite craignent que la taxe vienne pénaliser certaines entreprises françaises, ou que son coût soit répercuté sur le consommateur final, à savoir les particuliers. Ce dernier point a d'ailleurs été discuté au Sénat. Le rapport d'Albéric de Montgolfier sur le texte émet en effet quelques critiques, notamment sur le fait que le chiffre d'affaires réalisé en France ne pourra pas être évalué précisément, ce qui laisse des latitudes aux GAFA : « les entreprises du numérique paieront ce qu'elles voudront bien payer ». Le rapporteur conclut que « cette taxe comporte beaucoup d'inconvénients et d'incertitudes juridiques, ce qui entraîne un risque de contentieux important face à des entreprises très bien conseillées juridiquement. La France prend aussi un risque en ne notifiant pas le dispositif à la Commission européenne : nous pourrions être obligés de rembourser les montants perçus dans quelques années, comme cela s'est produit par le passé. » De la même manière, des voix s'élèvent dans la société civile, pour dire soit que le texte ne va pas assez loin, soit qu'il va freiner l'activité d'entreprises françaises.
Dans une « note de décryptage », l'association Attac (association altermondialiste créée en 1998) explique que la taxe ne règlera en rien l'évasion fiscale. L'association estime que l'argent récupéré par l'État ne sera qu'un « montant symbolique. (...) Nous estimons à 9,4 milliards d'euros le chiffre d'affaires réalisé grâce à des ventes en France qui ne sont pas déclarées dans l'Hexagone. En moyenne ces entreprises dissimulent 74 % de leur chiffre d'affaires ». Par ailleurs, Attac estime que la loi sera « sans doute efficace » pour les sociétés qui tirent leur argent de la publicité en ligne comme Google et Facebook, mais beaucoup moins pour Apple ou Amazon dont les activités sont «hors numérique ». De son côté l'IFRAP, organisme dédié à l'analyse des politiques publiques d'inspiration plutôt libérale, n'est pas non plus convaincue par le texte de loi et dénonce les « effets contre-productifs de la taxe GAFA ». D'une part, elle craint que la taxe touche également des entreprises françaises telles que les banques, rappelant que le Conseil d'État a indiqué qu'il « ne peut donner en l'état un avis favorable à l'exclusion générale du champ de la taxe des services d'intermédiation constituant des services financiers réglementés fournis par des prestataires de services financiers agréés. » Par ailleurs, l'IFRAP estime qu'elle pourrait toucher le secteur de la digitalisation et porter atteinte à la croissance potentielle, notamment celle des « futures licornes » françaises (un point également soulevé au Sénat dans le rapport de M de Montgolfier). Enfin, elle craint l'ouverture d'un « front de guerre commerciale avec les États-Unis ».