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Le scandale Orpéa sème le doute sur « l'investissement responsable »



Les soupçons de maltraitances dans certains EHPAD, secteur phare de la finance responsable, posent question quant à la juste évaluation des critères sociaux.


Temps de lecture : 5 minute(s) - | Mis à jour le 13-10-2023 15:55:00 | Publié le 31-01-2022 17:47  Photo : Shutterstock  
Le scandale Orpéa sème le doute sur « l'investissement responsable »

« Les Fossoyeurs », un livre explosif pour tout un secteur

Dans son livre « Les fossoyeurs » (éditions Fayard), le journaliste indépendant Victor Castanet accuse Orpéa, le leader mondial des maisons de retraites médicalisées, de maltraitance. Selon l'auteur, le groupe aurait largement privilégié sa rentabilité au détriment du bien-être de ses résidents dans certains de ses établissements.

Méthodes managériales brutales, dépenses réduites au minimum, arrangements pour profiter de l'argent public... Le système, qui concernerait l'établissement de Neuilly-sur-Seine, aurait notamment débouché sur un rationnement de nourritures et de soins. Fruit de 3 ans d'enquête, le tableau dressé dans cet ouvrage est sinistre et révoltant.

L'auteur évoque également un supposé abus des remboursements de l'Assurance Maladie au travers de surfacturations de dispositifs médicaux, compensées grâce à des rétro-commissions. Selon le JDD, en 2014 son concurrent Korian avait été soupçonné d'agissements similaires par l'ancien ministre de la Santé Claude Évin, alors directeur de l'ARS Ile-de-France. La société a expliqué dans un communiqué « qu'aucune sanction n'a été prononcée à l'égard de l'entreprise » après les « éclaircissements apportés » à l'époque par l'entreprise. Le JDD rapporte également la réponse apportée par le groupe, selon laquelle les « normes et procédures d'achat ont été revues » depuis et qu'il n'existe aucune « pratiques de remises a posteriori ».
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Orpéa nie, l'ARS enquête et les investisseurs décampent

Le groupe Orpéa a immédiatement réagi. Selon lui, le livre porte des accusations « mensongères, outrageantes et préjudiciables ». Il nie avoir organisé un système maltraitant, limogeant son directeur général, lançant un audit interne et mettant en avant un « taux de recommandation de 95% » issu d'une enquête annuelle de satisfaction menée auprès des résidents et familles.

Le gouvernement s'est aussi emparé du sujet, annonçant vouloir renforcer les contrôles des Agences régionales de santé dans les EHPAD. Une inspection a eu lieu dans l'établissement Orpéa de Neuilly et les dirigeants du groupe ont été convoqués ce 1er février devant la ministre chargée de l'Autonomie.

Le scandale rejailli également sur la chaîne de financement de ces établissements privés. Ces EHPAD sont largement soutenus par les sociétés financières en recherche d'investissement "responsables". Pour certaines, le scandale Orpéa sonne l'heure du désinvestissement. « La coupe est pleine » pour Michel Saugné, directeur de la gestion chez Tocqueville Finance. « Nous n'avons pas vocation à rester dans des sociétés où les controverses sont si marquées et quand elles s'inscrivent dans la durée, comme c'est le cas chez Orpéa. Nous avons déjà cédé la moitié de notre position », a-t-il indiqué lors d'un point presse.

Que ce soit pour des raisons purement financières ou des raisons éthiques, beaucoup d'investisseurs ont suivi le mouvement. En bourse, Orpéa a perdu plus de la moitié de sa valeur en à peine 10 jours. Dans son sillage et bien que l'ouvrage ne le mette pas en cause, son concurrent Korian a dévissé de presque 30%.


Des signaux d'alerte récurrents, mais un secteur privilégié par l'ISR


Investir dans les maisons de retraite, est-ce « socialement responsable » ? A l'heure où l'ISR* tend à devenir une norme, un scandale de cette nature sème le trouble.

D'un côté, la prise en charge des personnes très âgées est un enjeu de société. Avec le vieillissement de la population et une espérance de vie qui s'allonge, cette question est devenue cruciale. La dépendance est d'ailleurs l'un des secteurs de prédilection du volet social du « Label ISR ». Faute d'investissements publics, les fonds privés sont nécessaires pour développer une réponse au besoin de prise en charge du grand âge.

Mais des EHPAD font régulièrement les gros titres pour des problèmes de maltraitance. Le scandale autour d'Orpéa se produit après une longue série de signaux de défaillance. En 2020, en plein confinement, 13 élus et responsables de santé dénonçaient le manque de moyens et une « indifférence morbide menaçant la vie des résidents » dans une
tribune au Monde.

En septembre 2018, dans le magazine « Envoyé Spécial », l'aide-soignante Hella Kherief témoignait de mauvais traitements dans l'Ehpad où elle travaillait. Elle avait ensuite été licenciée avant de publier un livre. En 2008, deux caméras cachées diffusées sur France 2 et France 3 avaient suscité l'émoi, révélant des maltraitances sur des personnes âgées dans des maisons de retraite. Dans ces deux derniers cas, les reportages avaient fait autant polémique pour les accusations portées que pour les méthodes utilisées lors des reportages.


Les gains de productivité sont-ils compatibles avec une gestion « responsable » ?

Le secteur de la dépendance entre de plein droit dans la catégorie des investissements ISR puisqu'il répond à un problème de société. Mais le critère « social » semble avoir été négligé par les agences de notation « extra-financière ». Les notes ESG* qu'elles lui attribuent sont moyennes et ses scores de controverse étonnamment bas. Avec un marché en croissance et un potentiel à long terme, beaucoup de fonds labellisés « ISR » ont investi dans la « Silver économie », malgré les polémiques récurrentes.

Pourtant, le modèle économique pose lui-même des questions quant au respect de critères sociaux. Pour fonctionner, un EHPAD nécessite de lourds investissements. Or, en face, le chiffre d'affaires est contraint par la réglementation sur l'ouverture des lits, le forfait dépendance et le prix de l'hébergement, souvent imposé par le marché immobilier d'investissement. Orpéa loue ainsi environ 50% du patrimoine immobilier que le groupe occupe, et Korian, 80%.

Les murs de nombreux EHPAD privés commerciaux sont détenus par des sociétés financières, auxquelles les exploitants paient un loyer déterminé à l'avance sur la base d'un taux de rentabilité. D'autres sont la propriété de particuliers qui ont investi en défiscalisation (loi Censi-Bouvard...). Dans ce cas, les contrats de location ont été négociés par les promoteurs en amont de l'ouverture de l'établissement, avec une rentabilité de 4,5 à 6% HT/HT par an.

Si elles veulent gagner en productivité et améliorer leurs bénéfices, les maisons de retraite concernées doivent donc agir sur la réduction des charges, parmi lesquels les salaires et les dépenses courantes de fonctionnement. Le rapport Jeandel-Guérin, remis à la ministre déléguée à l'Automonie en décembre 2021, pointe ainsi, de façon peu surprenante, un sous-effectif chronique et des encadrants trop peu nombreux.

Selon le cabinet de conseil en finance durable Axylia dont les propos ont été rapportés par Novethic, les marges de manœuvre des établissements privés lucratifs restent trop faibles. Selon son analyse du modèle économique des EHPAD, une augmentation de 10% de la masse salariale annulerait les bénéfices de ces sociétés.

Le secteur de la dépendance est-il compatible avec un modèle à but lucratif ? Dans le cas inverse, et sans investissement public, quelle organisation pourrait les amener à réduire leurs besoins d'investissements privés, synonyme de nécessaire rentabilité ?

La dépendance n'est pas un secteur marchand comme les autres. Ce fait semble avoir été sous-estimé par les critères « ESG » de l'investissement socialement responsable. Dans un modèle de finance dit "plus éthique", la rémunération des actionnaires ne peut pas s'opérer au détriment des résidents et de leur famille qui paient déjà un coût élevé. Selon la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), le prix mensuel médian d'une place en EHPAD était de 2004 euros en 2019, avec de fortes disparités entre les secteurs géographiques (1628 euros par mois en Haute-Saône et 3264 euros dans les Hauts-de-Seine). La moyenne des pensions de retraite tournait autour de 1400 euros par mois la même année.

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