En économie, un coup d'arrêt est moins souvent le résultat d'un choc brutal que celui d'une lente décélération. Et avant que ne se produise un accident, il est toujours possible de modifier une trajectoire ou de ralentir afin d'en atténuer les effets. S'il se traduit aujourd'hui par une casse sans précèdent, le carambolage que subit le secteur du prêt-à-porter a pour origine une perte de contrôle survenue dès après la crise de 2008. Et les difficultés des grandes marques s'étaient depuis cette date enchainées tout au long de la dernière décennie.
Ainsi entre 2008 et 2019, le secteur de l'habillement aura essuyé une perte de 15 % de chiffre d'affaires, essentiellement concentrée sur le coeur de gamme. La baisse a même atteint -20 % sur le marché jusque-là préservé du prêt-à-porter féminin. Bien avant le début de l'épidémie de COVID-19, des signaux d'alerte s'étaient allumés.
En 2017 H&M, qui jusque-là se targuait de cumuler 20 années de croissance, s'est heurtée à une désaffection de sa clientèle et un recul de 13 % de ses ventes. Dès l'année suivante, l'enseigne suédoise fermait 170 magasins dans le monde. Dans une moindre mesure, ZARA, le nº 1 du secteur, reconnaissait également dès 2018 un ralentissement de ses ventes imputable à la concurrence du net.
Mais le marasme dans lequel venait d'entrer le secteur du PAP fut surtout illustré par les déboires du groupe VIVARTE (Caroll, Chevignon, Minelli, la Halle, NAF-NAF, etc.). Confronté à une activité en berne, mais également au poids d'une
dette LBO* contractée en 2007, le groupe avait dû se mettre sous le régime protecteur d'un mandat ad hoc dès 2014. S'en était alors suivi l'élaboration d'un plan de désendettement avec à la clé des suppressions de postes et des fermetures de magasins. Non suffisant, car pour sortir de l'impasse de la dette, VIVARTE a dû finalement se résoudre à céder la plupart de ses enseignes pour n'en conserver plus que 2 à partir de 2018 alors que le groupe en comptait une vingtaine en 2010.
Les causes à l'origine des difficultés du secteur du PAP sont multiples. Et la crise sanitaire ne doit être considérée que comme un facteur aggravant. Dans le même ordre d'idée, la multiplication des mouvements gilets jaunes a également eu un effet délétère sur l'activité des enseignes d'habillements. Mais celles-ci n'en ont cependant pas été les seules victimes et d'autres commerces tout autant impactés ne mettent pas pour autant la clef sous la porte.
La longue descente aux enfers du secteur de l'habillement est donc bien d'ordre structurel, mais aussi la conséquence d'erreurs stratégiques ou d'inactions face au changement des habitudes consuméristes. Comme dans bien d'autres domaines, la montée en puissance du e-commerce s'impose bien sûr comme l'avatar d'un changement de modèle business. Mais la baisse des chiffres d'affaires doit aussi être analysée comme la conséquence d'une volonté affichée des clients de consommer mieux et de consommer moins.
Or, la prise en compte de ces changements d'habitudes qui auraient dû se traduire par une redéfinition des gammes, mais aussi par une restructuration des réseaux de magasins a tardé. Les responsables des grandes marques se sont en effet persuadés qu'ils faisaient face à une crise conjoncturelle qui ne tarderait pas à s'estomper. Et en réaction à l'atonie des ventes ils ont opté pour une « politique des mètres carrés » en ouvrant de nouveaux magasins au lieu de concentrer leurs efforts sur une redéfinition de leur modèle business qui aurait nécessité un développement des ventes en ligne ainsi qu'une réflexion sur une « offre produit » plus en phase avec les nouvelles aspirations de la clientèle.
Les difficultés du secteur de l'habillement ne sont donc pas le résultat d'une fatalité liée à l'épidémie de coronavirus. Il faut d'ailleurs signaler que le segment du luxe continue d'afficher une insolente dynamique (sa croissance avoisinait + 7 % entre 2010 et 2019) et que l'entrée de gamme résiste bien.
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