Guerre commerciale mondiale : la revanche logistique de la France

La fin du « just in time » et le grand retour du stockage

Pendant des décennies, la logistique mondiale reposait sur le flux tendu : produire à bas coût en Asie, livrer à la demande, sans immobiliser de stock. Mais la succession de crises — pandémie, guerre en Ukraine, inflation, surtaxes douanières — a fissuré ce modèle. « Nous assistons à la fin de l’hyper-mondialisation : les flux se fragmentent, les entreprises cherchent à produire et stocker plus près des consommateurs », explique Laurence Bouard, Head of Research France chez Cushman & Wakefield.

Cette logique de précaution, dite « just in case », bouleverse la géographie industrielle. Les acteurs du e-commerce, de la santé ou de la distribution cherchent désormais à sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement par la proximité et la redondance. Résultat : la demande d’entrepôts modernes et interconnectés explose dans toute l’Europe, et la France se retrouve en pole position pour capter ces nouveaux flux.

Le pays dispose aujourd’hui d’un stock total de 89 millions de m² d’entrepôts, répartis autour de quatre grands hubs internationaux — Le Havre, Marseille, Dunkerque et Roissy-Charles-de-Gaulle — reliés aux principaux corridors logistiques européens. Le tout avec un loyer moyen de 84 €/m²/an, contre 101 € sur le continent. Un avantage décisif, d’autant que le taux de vacance logistique (5 %) laisse entrevoir un marché équilibré, capable d’accueillir rapidement de nouveaux investissements.

L’Europe devient le plan B des géants asiatiques

Les grands exportateurs chinois, fragilisés par les barrières américaines, se repositionnent vers l’Europe. Symbole de cette stratégie, SHEIN — déjà au cœur de l’actualité pour son installation au BHV Marais à Paris — illustre la volonté des groupes asiatiques de contourner les États-Unis pour s’ancrer sur le Vieux Continent.En choisissant la France comme tête de pont, ces acteurs y voient un double intérêt : un accès direct aux consommateurs européens et un ancrage logistique stable, à l’écart des tensions transatlantiques.

Cette réallocation des flux s’accompagne d’un repositionnement des capitaux. « Sur le marché des investissements, la France attire à nouveau les fonds asiatiques qui recherchent des zones défensives et résilientes », observe Romain Nicolle, Head of Logistics CMG chez Cushman & Wakefield. L’immobilier logistique devient ainsi un actif refuge, soutenu par la montée de la demande locative et par la rareté du foncier dans les zones industrielles.

Mais pour transformer cette position en avantage durable, la France devra lever plusieurs verrous :
- Renforcer l’intermodalité (rail, fleuve, route) afin de réduire la dépendance au tout-routier ;
- Moderniser les procédures douanières et fluidifier les contrôles transfrontaliers ;
- Développer des zones sous douane et des plateformes mutualisées pour les PME exportatrices ;
- Accélérer la digitalisation logistique, notamment via la blockchain et les solutions de traçabilité.

Un atout stratégique pour l’économie française

Ce repositionnement logistique est plus qu’un simple effet conjoncturel. Il marque la renaissance d’un maillon industriel clé, longtemps négligé. Le retour du stockage en Europe crée des opportunités massives pour les investisseurs, les collectivités et les aménageurs.Les foncières spécialisées, les SCPI logistiques et les fonds d’infrastructures multiplient les acquisitions, misant sur la hausse des loyers et la stabilité des baux industriels.

Dans un contexte de désordre géopolitique, cette nouvelle géographie de la chaîne d’approvisionnement pourrait devenir un atout structurel. Là où les échanges se fragmentent, la France retrouve une fonction d’équilibre : celle d’un hub européen au cœur d’un monde éclaté.