Continuer avec Google
Continuer avec Facebook
Continuer avec Apple
Conçu pour harmoniser les règles et fluidifier l’innovation, le règlement européen MiCA est déjà fragilisé. La présidente de l’AMF agite la menace d’un veto au passporting, au risque de fragmenter un marché naissant mais stratégique.
La présidente de l’AMF, Marie-Anne Barbat-Layani, n’a pas mâché ses mots. Elle a publiquement déclaré qu’elle se réservait le droit de refuser l’application du passporting à une plateforme agréée dans un autre État membre, si l’agrément initial lui paraît trop laxiste. « C’est une arme atomique », a-t-elle reconnu, consciente du caractère explosif de la mesure pour le marché unique.
Son avertissement s’appuie sur un constat partagé : les standards de supervision, les exigences de conformité et la rigueur des contrôles varient déjà fortement d’un pays à l’autre. Dans un environnement où la concurrence réglementaire est réelle, les géants de la crypto pourraient choisir la juridiction la plus accommodante, pratique connue sous le nom de regulatory arbitrage ou « shopping réglementaire ».
La France n’est pas isolée. L’Italie, via la Consob, et l’Autriche, via la FMA, plaident également pour un contrôle plus centralisé. Leur préférence : que les grandes plateformes soient supervisées directement par l’ESMA (European Securities and Markets Authority), plutôt que par des régulateurs nationaux aux moyens inégaux.
La faisabilité d’un veto national soulève une série de questions. MiCA est un règlement européen : il s’applique directement et uniformément, contrairement à une directive. Le passporting est au cœur du texte, et un refus unilatéral risquerait de violer le principe de coopération loyale inscrit dans les traités. En pratique, un tel geste pourrait déclencher des recours devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et tendre les relations entre régulateurs.
Certains juristes estiment toutefois que des marges de manœuvre existent. Un État membre pourrait contester la reconnaissance du passporting en cas de manquements graves ou de supervision manifestement insuffisante. La jeunesse du cadre MiCA, encore en cours de précisions techniques via des actes délégués, ouvre aussi un espace d’interprétation. Dans ce scénario, la menace française fonctionnerait davantage comme un levier de pression diplomatique que comme une arme réellement destinée à être utilisée.
Les conséquences potentielles, elles, sont bien réelles. Si Paris mettait sa menace à exécution, le marché européen pourrait se fragmenter : certains pays reconnaissant toutes les licences, d’autres les bloquant. Les plateformes crypto devraient multiplier les agréments locaux, augmenter leurs coûts de conformité et réorganiser leurs structures, un fardeau particulièrement lourd pour les acteurs de taille moyenne. À l’inverse, les grandes plateformes, déjà dotées de ressources juridiques et financières, pourraient renforcer leur domination.
Ce bras de fer illustre le dilemme de l’Europe. D’un côté, l’unité réglementaire est cruciale pour attirer capitaux et talents. Un marché éclaté risquerait de dissuader les investisseurs et de ralentir l’adoption des crypto-actifs en Europe. De l’autre, une supervision trop laxiste menacerait la protection des épargnants et l’intégrité des marchés.
Pour l’AMF, le message est clair : si le passporting est appliqué sans garde-fous, la crédibilité de MiCA s’effondre. Mais pour Bruxelles, l’enjeu est inverse : si chaque État se réserve un droit de veto, c’est le projet même du marché unique numérique qui est compromis.
Les prochains mois seront déterminants. La Commission européenne et l’ESMA pourraient être contraintes d’accélérer la publication de standards techniques plus précis. Les discussions entre régulateurs nationaux, déjà vives, pourraient déboucher sur des compromis institutionnels, comme une supervision directe des plateformes systémiques au niveau européen.
Dans tous les cas, le signal est lancé : l’Europe n’entend pas laisser les crypto-actifs échapper à un contrôle rigoureux. Mais elle devra trouver le bon équilibre entre sécurité des investisseurs et compétitivité du marché. Faute de quoi, le rêve d’un marché unique crypto pourrait se briser avant même d’avoir existé.